En effet, selon tous les spécialistes de la scène politique béninoise, on s’acheminait inexorablement vers le chaos. Trois jours avant la tenue du scrutin, une grande partie des électeurs ne savaient pas encore où ils iront voter ; d’ailleurs, nombre d’entre eux ne possédaient pas encore de carte d'électeur. Contrairement donc aux quatre premiers scrutins de l’ère pluraliste, celui du 6 mars, s’il s’était tenu, risquait fort bien de provoquer une grave crise post-électorale, comme c’est le cas dans plusieurs pays africains ces dernières années. Le report du scrutin se présentait donc comme la voie de la sagesse. Et le peuple béninois a su emprunter cette voie. N’empêche que des questions demeurent.
S’il faut saluer la décision de reporter le scrutin, une semaine, cela semble bien peu pour accomplir les tâches indispensables pour que la présidentielle se déroule dans des conditions acceptables ; notamment, l’impression de la liste d’émargement des électeurs, la localisation de certains bureaux de vote, la distribution des cartes d’électeur, sans oublier que la mise en place du matériel sensible, de l’avis de la CENA, se trouve hypothéquée du fait de la désignation tardive non seulement des membres de certaines commissions électorales communales (CEC), mais aussi de ceux des commissions électorales d’arrondissement (CEA). Beaucoup de travail donc à effectuer en une seule semaine.
Terrain d’expérimentation de plusieurs formules de gouvernement allant du marxisme-léninisme à la démocratie pluraliste, après avoir connu sept coups d’Etat de 1963 à 1972, le Dahomey, devenu Bénin, semble avoir trouvé sa voie en 1990 en étant le premier pays africain à tester la fameuse conférence nationale. Depuis lors, il fait de l’avis de certains observateurs, figure d’exemple en Afrique en matière de démocratie. Il vient encore de le démontrer. Ces derniers jours, opposition, syndicats et organisations de la société civile ont exigé le report du scrutin pour des raisons évoquées plus haut, des raisons plus ou moins liées au fichier électoral. Ce n’est plus un secret pour personne, le fichier électoral semble désormais cristalliser toutes les suspicions. Les voisins Nigériens le savent bien.
On l’a vu au Sénégal lors de la présidentielle de 2007. Les opposants ont bataillé fort pour avoir une liste électorale au-dessus de tout soupçon. Au Burkina Faso, lors de la présidentielle du 21 novembre 2010, le problème a resurgi. En Côte d'Ivoire, outre la division du pays et le désarmement des ex-rebelles, le casse-tête majeur qui plombait le processus était bel et bien le fichier électoral. On connaît la suite. Le Bénin, soucieux d’éviter d’être contaminé à son tour par cette maladie infantile des démocraties africaines, a donc pris la bonne décision. Si les électeurs béninois « laissés en rade » sont finalement pris en compte, les perdants du premier tour dimanche prochain n’auront plus de prétextes sérieux pour contester les résultats : ils ne pourront alors s’en prendre qu’à eux-mêmes.