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Dossier de la Rédaction

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Refuser le naufrage collectif

La corruption est, avec l’inertie et une administration particulièrement inefficace, l’une des causes majeures de la lenteur du processus de développement socio-économique du Cameroun. La décision du chef de l’Etat de prendre à-bras-le-corps la lutte contre ce fléau devrait logiquement, dès lors, recueillir le soutien formel de la classe politique et des Camerounais dans leur ensemble, à défaut d’unanimité. Et ce d’autant plus que les assauts répétés sur la fortune publique, depuis l’avènement funeste des « feymen » dans les années 80, jusqu’à la folie prédatrice des gestionnaires à travers les marchés publics, en passant par les exactions quotidiennes des policiers, douaniers, proviseurs de lycées, magistrats, agents du fisc ou du trésor public, étaient devenus un sport national.

L’opinion publique, excédée, avait fini par conclure à une complicité tacite des dirigeants, tant les forfaits étaient grossiers, obscènes mêmes, dans leurs excès, et tant la mise en cause et les sanctions des présumés coupables paraissaient improbables. Dans ce contexte, on peut difficilement comprendre que la l’opération Epervier, qui matérialise l’entrée en scène, quoique tardive, de la Justice dans la fourmilière de la corruption, concentre critiques et incompréhension de la part des couches les plus éclairées de la société.

Tout se passe comme si une frange de l’opinion n’avait réclamé la lutte contre la corruption que pour une certaine catégorie de Camerounais, ou comme si elle avait douté de la volonté réelle du pouvoir d’engager le combat, dès lors que des piliers du régime s’y trouvaient compromis. Devant l’ampleur des victimes dans son propre camp, devant le rang social de plus en plus élevé de celles-ci, et devant sa détermination inflexible à aller de l’avant, le chef de l’Etat a pu apparaître à leurs yeux comme un jusqu’auboutiste insouciant des répercutions politiques et sociales de sa croisade. On ne peut nier en effet les ravages probables d’une telle opération, ni sur la cohésion du parti majoritaire, dont les doctrinaires se trouvent pour la plupart à des postes de responsabilité, et qui se considèrent dorénavant comme « éperviables à merci », ni sur le moral des ruraux, qui vivent souvent sous perfusion des élites, et ne comprennent pas toutes les subtilités des « affaires », et tous les rouages de la Justice.

Comment douter que le président Paul Biya n’ait soupesé lui-même tous les risques et tous les enjeux ? Il connaît mieux que personne le microcosme politique, qu’il a contribué à fabriquer, les ressorts sociopolitiques et la subtile alchimie qui sous-tendent l’équilibre de l’édifice Cameroun. Mais il connaît aussi les ravages de la corruption, véritable naufrage collectif, sur la nation, et le jugement implacable de l’Histoire sur l’action des hommes d’Etat pour protéger leur pays de tels fléaux.

C’est une marque de courage politique d’engager, dans ces conditions, la lutte sans merci contre le phénomène. Nous avons là la preuve que le chef de l’Etat n’a pas sacrifié la réputation et la survie de la nation à l’autel de la confraternité politique.

Une chose est sûre : l’opération de lutte contre la corruption, bien comprise par le petit peuple, est sous les feux croisés des médias, tant nationaux qu’internationaux et d’une partie de l’opposition radicale, ceux-là mêmes qui avaient le plus fustigé l’attentisme supposé du gouvernement dans ce domaine. Ils portent deux critiques principales :

Primo : c’est une forme d’épuration politique, destinée à éliminer les rivaux politiques de Paul Biya. Que l’opération Epervier soit destinée à mettre hors-jeu des adversaires politiques reste à prouver. Malgré les passions, ce n’est qu’une hypothèse d’école, qui quittera le champ de la spéculation lorsqu’il sera démontré, au terme de la procédure judiciaire en cours, que les dossiers qui fondent les présomptions de la Justice sont archi-vides. Dans ce cas-là, même si le mal est déjà fait d’une certaine manière, la Justice devra faire son mea culpa et rétablir l’honneur de ceux qui auront été accusés à tort.

Cela dit, une certaine mise en scène des arrestations au début de l’opération Epervier, avec le concours des médias, a pu faire croire en effet qu’il y avait une volonté d’humiliation de certains prévenus, orchestrée par le politique. Cette déviation ne reflétait pas la neutralité de la Justice. Elle a vite été corrigée.

Secundo : les procès sont inutiles, seul l’argent restitué compte. Cette critique récurrente pose la question de la légitimité même de toute l’opération. Est-ce bien utile de conduire des procédures longues et coûteuses, si l’Etat ne se voit pas rétrocéder, même partiellement, le butin volé ? Le message transmis par ces critiques, en substance, est que les lourdes sentences des différents procès ne compensent pas le trésor perdu.

Soit. Mais cela ne disqualifie nullement, pour autant, les procédures judiciaires en cours. Il nous semble hasardeux d’envisager que l’on aurait pu faire l’économie des procès, sans envoyer un message ambigu à l’opinion : la corruption est autorisée pourvu que l’on puisse restituer un peu… si l’on est pris. Restituer à qui ? Dans quel cadre ? Sans procès ?

C’est précisément pour répondre à ces appels à la restitution des fonds volés que le Tribunal criminel spécial a été créé. Il s’agit à la fois d’accélérer les procédures, et de mettre en place le cadre juridique qui autorise, dans certaines conditions bien définies par la loi, la restitution des sommes qu’un accusé reconnaît avoir dérobées, contre sa remise en liberté.

Nous nous réjouissons d’une chose : si tout ce débat a cours, de la manière la plus libre qui soit, de la manière la plus brutale aussi, parfois, c’est que nous vivons dans un Etat de droit, qui nous garantit la liberté d’expression et d’opinion.

Mais dans un Etat de droit, c’est la Justice qui est le régulateur social. L’atteinte à la fortune publique est un dysfonctionnement majeur dont le régulateur a été saisi par l’Exécutif. Placé devant ses responsabilités, la Justice devra s’exercer en toute sérénité et en toute indépendance. Défi de taille, pour une institution en quête d’une plus grande crédibilité.

 

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