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Agriculture : les femmes de la Lékié tracent leurs sillons


Grâce à l’encadrement dont elles bénéficient au sein d’un réseau mis en place par l’élite intellectuelle, les femmes rurales de ce département du Cameroun ont l’ambition de couvrir les besoins induits par la consommation locale et sous-régionale de certains produits agricoles.


Le département de la Lékié, 2989 Km2 pour 500.000 habitants selon les résultats du dernier recensement général de la population publiés début 2010, se présente comme le grenier de  la capitale camerounaise. Immédiatement au Nord-Ouest de Yaoundé, la région est caractérisée par une forte densité de la population et une intense activité agricole fondée sur la culture du cacao. Les cultures dites de rentes devenant de moins en moins rentables, les agriculteurs de la Lékié, deuxième grand producteur de cacao au Cameroun, s’activent de plus en plus à la production des cultures maraîchères et vivrières, porteuses de plus de revenus. Ainsi, selon une enquête du bureau national de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), le département produit 60 à 70% des vivres vendus sur les marchés de la capitale. De plus, des commerçants régionaux et exportateurs viennent désormais de plus loin –Gabon, Guinée équatoriale, Centrafrique, Nigeria voisins- pour s’approvisionner dans le département. Certaines commerçantes se sont spécialisées sur les « lignes » du Nord, fournissant des produits agricoles jusqu’au Tchad.

L’augmentation de la demande et l’intensification du trafic dans les zones de production du département de la Lékié ont entraîné une pression sur les agriculteurs et une flambée des prix des produits agricoles. « Il était devenu difficile même pour les villageois et les acheteurs habituels d’accéder aux denrées. A cause de cette pression, une plante comme l’okok par exemple, très prisée au Nigeria et qu’on ne trouvait qu’à l’état sauvage, avait disparu des forêts. Il a fallu la domestiquer, la réintroduire et assurer la promotion de sa culture. Maintenant de grandes plantations d’okok existent dans la Lékié et dans d’autres départements dans la région du Centre », explique-t-on à l’Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). A la suite des émeutes de la faim en février 2008, la pression s’est faite encore plus forte sur les bassins de production de la Lékié, entraînant une réaction favorable des élites féminines du département.

« Nous avons constaté l’existence d’une flopée d’associations féminines dans le département. La plupart étaient des tontines faisant dans la petite épargne ou quelques activités génératrices de revenus : petit commerce, agriculture. Nous avons relevé que toutes tardaient à réagir à l’opportunité qu’offrait alors la crise alimentaire par une adaptation et un accroissement de leurs productions. Dans les échanges avec les différents leaders des regroupements sus-évoqués, il est apparu que beaucoup n’avaient pas l’information et ne savaient d’ailleurs pas comment en tirer profit. Nous avons donc créé le Réseau Oyili Bininga de la Lékié (Résobil) avec pour objectif principal de renforcer les capacités des femmes rurales du département », explique Odile Eyebe Ayissi, présidente fondatrice de l’association.

Impact non négligeable

En éton, langue vernaculaire parlée dans la région, l’expression « oyili bininga » qui signifie littéralement « le pacte des femmes » est forte. Elle va au-delà de l’engagement personnel. « Le réseau est subdivisé en antennes basées dans les villages. Le système est simple : nous mettons des connaissances (techniques agraires modernes, techniques de production appropriées ou d’élevage, possibilités de diversifier les produits grâce à la transformation et au conditionnement) et du matériel (semences améliorées, engrais, pépinières, poussins, porcelets…) à la disposition des femmes. Nous les encourageons à travailler en équipes, à produire beaucoup et nous nous chargeons du reste : commercialisation et distribution de la production. Nous utilisons nos carnets d’adresse et les moyens de communication modernes dont les réseaux sociaux pour écouler les productions. Les acheteurs nous contactent par téléphone ou notre page Facebook notamment. Nous n’avons pas besoin de nous déplacer pour vendre. Parfois, les parcelles ensemencées sont réservées par des clients gabonais ou équato-guinéens qui paient une avance sur les futures récoltes. Les sommes ainsi engrangées sont réinvesties soit dans l’équipement soit dans une autre activité génératrice de revenus (élevage, commerce…), selon les besoins spécifiques de chaque antenne. Au terme d’un exercice, nous faisons le bilan. Les bénéfices sont reversés aux antennes proportionnellement à leur rendement », explique Mme Nomo, secrétaire générale du Résobil.

Ainsi, lors de la dernière assemblée générale de l’association tenue en mars dernier dans l’arrondissement d’Obala, et à laquelle un millier de membres venus de 35 villages prenaient part,  le bilan du Résobil a parlé de lui-même. Seulement en son siège de Mbélé, l’association dispose d’une porcherie d’une centaine de têtes, un poulailler d’un millier de sujets, d’une plantation d’okok (10 ha), d’une de moringa et d’une pépinière de cacaoyers.  Et les antennes ne sont pas en reste. D’Ebebda à Minkama, en passant par Nkolo et bien d’autres localités de la Lékié, les femmes du réseau travaillent comme des fourmis : pépinières, fumage de poisson, location de chaises et tentes, champs communautaires de tomates, piment, gombo, arachide, bananeraies, élevage, petit commerce. Mais aussi transformation et conditionnement du moringa, de l’okok, tomate, gombo, piment, légumes en feuilles, noyaux de mangue sauvage et manioc… Les femmes explorent bien des secteurs d’activités. Grâce à ce déploiement tous azimuts, le Résobil a d’ailleurs produit 200 tonnes de maïs et 50.000 plants de cacaoyers en 2011. D’où la satisfaction de la présidente, Odile Eyebe Ayissi, et des membres. « Le bilan est vraiment positif. Nous avons pu relever l’ensemble de nos défis. Avec ce réseau, ma vie a vraiment changé. Avant, toute notre vie reposait sur le cacao, dont la récolte ne s’effectue qu’une fois par an, et sur les épaules de mon époux à qui appartient la plantation. Avec toutes ces activités, je suis devenue autonome et je participe même à la scolarisation de nos enfants. Je ne compte plus seulement sur l’assistance des membres de la famille installés en ville. Moi aussi, je suis désormais parmi les gens qui comptent dans la communauté », avoue fièrement Marie-Thérèse Zinga Bilogue d’Ebebda.
En récompense du travail abattu, les antennes méritantes reçoivent des cadeaux : moulins à écraser, porte-tout, chaises, porcelets, poussins, provende, tôles pour la construction des porcheries, bâches pour séchage du maïs et du moringa, égreneuses, séchoirs, groupes électrogènes, semences améliorées, houes, machettes, etc. Des « pactoles », appuis financiers de l’association d’une valeur de deux millions FCFA, leur sont également versés. Tous les membres bénéficient aussi d’une formation en montage des projets. Emerveillées par le travail de terrain de ce réseau, les autorités administratives, traditionnelles et religieuses installées dans la région ne cessent de l’inviter à étendre ses activités au-delà des frontières de la Lékié. L’association compte 39 antennes dans quatre arrondissements du département.

Des enjeux et des défis aussi

L’approche du Résobil en matière de développement de la chaîne de valeur considère les petits exploitants agricoles comme le point de départ. Ladite approche est donc conçue pour améliorer leurs revenus en leur donnant plus de pouvoir et de compétences. L’expérience du Réseau Oyili Bininga sur le terrain se déroule en quatre phases : collecte de l’information (analyse de la chaîne de valeur), énoncé du problème, adoption et mise en œuvre d’une stratégie (quelles activités concrètes sont nécessaires pour améliorer la situation des agricultrices de la Lékié), puis suivi, évaluation des activités et apprentissage sur la base des expériences. Ces apprentissages sont utilisés dans les projets à venir de développement de la chaîne de valeur dans d’autres chaînes. Il apparaît dans cette expérience que la connaissance de techniques agraires novatrices comme le « système goutte à goutte », promu par l’ambassade d’Israël au Cameroun et permettant de gérer les ressources en eau avec parcimonie, est nécessaire. De même que les infrastructures de stockage, les routes, l’accès à l’électricité, la mécanisation de l’agriculture, la coopération entre les producteurs et l’IRAD où des semences sont sans cesse améliorées. Toutes choses qui devraient permettre de régler les questions liées à la mauvaise qualité et quantités inconsistantes de certains produits.

L’expérience du Résobil montre clairement qu’il est possible de simplifier les méthodologies et outils existants, en vue d’une utilisation rentable hors du contexte des interventions des bailleurs de fonds. L’organisation a quelque peu modifié l’approche afin de l’adapter au contexte local et à ses propres objectifs.  D’où un scénario gagnant-gagnant induisant une meilleure compétitivité de la chaîne de valeur et du secteur dans son ensemble, en plus d’améliorer la situation des pauvres.

La principale difficulté ici est causée par le manque de capacité, d’initiatives et d’entreprenariat sur les différentes étapes de la chaîne de valeur. Le leadership de l’association n’étant pas suffisamment outillé sur les bonnes pratiques agricoles et d’élevage, il devrait faire appel à des compétences particulières pour fournir des formations y relatives et dans des domaines aussi divers que les normes de qualité, la transformation et le conditionnement, la conservation, l’accès aux financements et microcrédits. Concrètement, l’on pourrait aller des champs-écoles à l’administration et à la comptabilité.

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