D’un côté, le Nigéria, le pays le plus peuplé d’Afrique, un géant aux immenses ressources pétrolières, une économie en pleine expansion, l’esprit entrepreneurial poussé ;
de l’autre le plus grand patchwork humain, linguistique et culturel du continent, le Cameroun, qui combine également une dotation exceptionnelle de ressources naturelles et le dynamisme des populations, avec depuis toujours un credo connu et proclamé : la paix.
Voisins, ouverts largement l’un à l’autre, plus par la petite économie , les maillages interculturels et la porosité des frontières, que par la construction volontariste d’une coopération bilatérale, le Nigéria et le Cameroun ont saisi, depuis la résolution il y a onze ans de l’affaire Bakassi portée devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) par le président du Cameroun, l’occasion unique d’écrire différemment leur histoire commune.
L’histoire fourmille de nombreux cas de figures où l’entente exceptionnelle de deux nations sœurs est devenue un catalyseur de l’essor économique et de la détente politique dans un espace géographique ou culturel donné. Dans un monde aux intérêts multiformes et parfois divergents, les rapprochements des pays en binômes, dans le sens des intérêts réciproques bien compris, peuvent servir de locomotive de progrès, de force entraînante vers la paix et le co-développement.
Alliés pour le bien, les pays font nécessairement avancer plus vite les causes communes. Certes, l’alliance pour le pire est aussi hélas, possible, mais là n’est pas notre sujet.
Il n’y a qu’à citer, pour s’en convaincre, le binôme France-Allemagne, moteur de la construction européenne depuis ses débuts, avec la Communauté du charbon et de l’acier, jusqu’à la période récente. La force de ce « couple » a non seulement aidé à la construction de l’Europe, mais a constitué le plus solide rempart contre son implosion, alors que la crise économique mondiale, un certain scepticisme intérieur et extérieur, menaçaient sa survie.
Le Cameroun et le Nigéria n’en sont pas là. Pas encore. Mais l’Afrique elle aussi a besoin de ces modèles de synergie pour préparer l’avenir et pacifier le présent. Rangés par la volonté des géo stratèges dans des zones politico-économiques voisines mais différentes, la CEDEAO et la CEMAC, les deux pays ont pourtant, en dehors de leur frontière commune, longue d’un millier de kilomètres, de nombreuses autres affinités à faire valoir. En dépit d’une histoire douloureuse pour l’un et l’autre : le rattachement en 1961 d’une partie du Cameroun occidental au Nigéria, et les plaies de la guerre du Biafra. Auxquels s’est ajouté le conflit frontalier de Bakassi.
Et pourtant, la coopération en tous points exemplaire des parties prenantes désignées pour accompagner la mise en œuvre de l’arrêt de la CIJ prononçant la camerounité de Bakassi, plus encore, l’engagement des deux protagonistes à la consolidation de la paix suite à cet arrêt, et enfin l’importance du Cameroun et du Nigéria dans leurs zones d’influence respectives, plaident pour un resserrement plus étroit des liens politiques, économiques, commerciaux, socio-culturels, entre les deux voisins. Mais pour consolider la paix et la confiance, dans l’espoir de bâtir une véritable fraternité, le Cameroun et le Nigéria doivent faire montre d’une plus grande volonté politique, dans une démarche à plusieurs paliers.
Il s’agit d’abord, au plan institutionnel et juridique, de créer le lieu d’impulsion de cette nouvelle relation, de part et d’autre. Le président de la République, Paul Biya, a pris l’initiative dans ce domaine, en instituant au sein du ministère des Relations extérieures une sous-direction en charge des relations avec le Nigéria. Un fait unique dans les annales de notre diplomatie.
Dans ce cadre idoine et dans bien d’autres, tels que la commission mixte, les visites des personnalités de haut niveau, il s’agira de recenser et d’étudier les domaines les plus porteurs. Et de créer des projets communs en vue d’une véritable complémentarité économique.
Le Nigéria n’est pas en reste, dans cette volonté manifeste de construire une relation exemplaire. Ainsi ne peut-on s’empêcher de remarquer que depuis l’inauguration de ce printemps de la coopération bilatérale, la première sortie hors du pays des nouveaux présidents élevés du Nigéria est toujours réservée au Cameroun. Les nouveaux chefs de l’exécutif du Nigéria entendent toujours ainsi manifester à l’homme d’Etat à l’origine de ce dégel, le président Paul Biya, leur reconnaissance, et leur engagement personnel à apporter leur pierre à la paix entre les deux nations.
Cela suffit-il ? Il est manifeste, au vu des évolutions politiques économiques, sécuritaires récentes en Afrique, que le Cameroun et le Nigéria peuvent et doivent aller plus loin. Il manque aux jalons ainsi posés par ce nouveau couple, une certaine audace. L’audace de s’aimer. Cernés de toutes parts par la menace terroriste qui n’est du reste plus une menace mais un fait douloureux, et fragilisé par l’extrémisme religieux, dans un environnement où prévaut la précarité des populations les plus vulnérables, les Africains n’ont pas d’autre issue que de s’unir, de mutualiser les stratégies, les moyens de lutte, le renseignement.
En participant à Yaoundé les 24, 25 et 26 juin derniers à une réunion de haut niveau parrainée par les Nations-Unies sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée, Nigérians et Camerounais ont réalisé, on l’espère, que le moment était arrivé de protéger ensemble ce qu’ils avaient rendu possible : la paix à Bakassi. Leur solidarité et leur expérience dans ce domaine ne peuvent que faire tache d’huile, et profiter à toute la région. En se posant comme unis et exemplaires dans ce domaine de la sécurité, comme dans d’autres, notamment l’économie, le Cameroun et le Nigéria parviendront sans aucun doute à impulser, grâce à leurs innombrables potentialités, une dynamique qui profitera aussi bien à leurs pays, qu’à ceux des deux sous-régions auxquelles ils appartiennent et dont ils sont les locomotives.
Pour l’heure, les vœux de rapprochement sont partagés de part et d’autre de la péninsule de Bakassi ; les projets de routes, d’exploitation électrique et d’hydrocarbures se tricotent. Les changements commerciaux atteignent des records. Tant mieux ! Mais les politiques doivent le savoir : ce rapprochement doit aussi être celui des peuples. Echanges interculturels, rencontres entre patronats, créateurs artistiques, étudiants et hommes d’affaires, etc, sont aussi à promouvoir, à encourager. Ils amplifient la légitimité d’une relation qui se veut modèle, ils lui donnent du nerf, de la tonalité. Plus encore : de l’humanité.