Pr. Joseph Vincent Ntuda Ebode, Directeur du Centre de Recherche d'Etudes Politiques et Stratégiques (CREPS)-Université de Yaoundé II-Soa.

Quelle lecture faites-vous en tant que géostratège sur cette signature de l'accord de siège qui a eu lieu ce jour? Qu'est-ce que ça va changer?

Cette signature marque un pas décisif dans l'implémentation de la décision prise par les chefs d'Etat et de Gouvernement africains de loger la base logistique au Cameroun. En réalité, l'accord de siège dans sa structure dit qui doit faire quoi, quand et comment, entre le pays hôte (le Cameroun) et l'Union africaine.

En terme de signification, elle a une dimension politique, diplomatique, économique, géostratégique, voire symbolique. Sur le plan politique, c'est une reconnaissance continentale de la capacité du Cameroun à tenir un tel engagement. D'un point de vue diplomatique, on reconnait que le Cameroun est un pays dont la diplomatie est conforme aux principes fondateurs des Nations Unies et de l'OUA-UA. Que l'une de ses caractéristiques comportementales se trouve être la résolution pacifique des conflits, comme le différend de Bakassi l'a démontré.

Sur le plan économique, le choix porté sur Douala, capitale économique du Cameroun est une reconnaissance continentale de la place de cette ville dans la structuration économique sous-régionale. En effet, c'est aussi parce que Douala dispose des infrastructures pouvant faciliter l'opérationnalisation de cette base que le Cameroun a été choisi (Aéroport de classe internationale et port par exemple).

Enfin, du point de vue géostratégique, la situation du Cameroun, au fond du Golfe de guinée et à la frontière entre l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest, la rend presque équidistant de toutes les autres sous régions. Mais en plus, cet acte améliore la visibilité du Cameroun, tant en Afrique et dans le monde et fait de lui, un bien commun continental, une sorte de pays neutre, que le reste du Continent a l'obligation de défense en cas de problème, en raison de la présence de cette base sur son territoire.

Quel peut-être l'apport de cette force sur les multiples champs de conflits et criminalité transfrontalière que connait l'Afrique?

Cette base aura bien évidemment un impact sur les conflits actuels et à venir. D'abord, parce qu'elle est conçue pour le soutien des forces sur différentes théâtres des opérations en Afrique. Ensuite, parce qu'elle est dimensionnée pour les opérations de maintien ou de soutien à la paix du genre troisième génération (dans lesquelles les communautés se battent entre elles à l'intérieur d'un pays), elle peut avoir un effet dissuasif.

Toutefois, elle doit évoluer pour faire face aux guerres asymétriques du genre Boko Haram, parce qu'elle n'a pas été pensé pour traiter ce genre de menace; mais plutôt, pour soutenir les forces en attente de l'Union Africaine.

Comment assurer une opérationnalité et coordination sans faille de cette force pour que son impacte soit visible sur le terrain?

Pour son opérationnalisation, il faut une forte volonté politique des Etats Africains, individuellement pris, et de l'Union Africaine, dès lors que le Cameroun a fait, ce qu'il est tenu de faire conformément à l'Accord de siège. En effet, il y aura, à côté des contraintes des puissances (d'ici et d'ailleurs), des problèmes de financement et d'interopérabilité technologique et culturel qu'il va falloir solutionner en urgence.

En rapport à la coordination, il faudra que tous les organes prévus soient mis sur pied et les personnalités chargée de les animer nommés d'une part ; d'autre part que le professionnalisme prenne le pas sur la représentation par pays. En d'autres termes, qu'un pilote soit choisi en tant que pilote, et non pas prioritairement, en raison de son pays d'appartenance.