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Dossier de la Rédaction

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« L’accord de Paris sur le climat fixe un cap »

Samuel Nguiffo, expert en questions environnementales et de développement.

 

La COP 21 vient de s’achever à Paris par un accord qu’on présente comme « historique ». Mais l’on parle aussi d’une décision. Qu’en est-il exactement ?

On peut évaluer la Conférence de Paris de deux manières au moins : sur le plan diplomatique, on a assisté à un véritable succès. D’abord, en raison de la tenue de la conférence à Paris, deux semaines seulement après la vague d’attentats la plus meurtrière connue par la France. Les impératifs de sécurité auraient pu justifier un report, voire une annulation. Ensuite, la forte mobilisation internationale, notamment avec la présence des chefs d’Etat et de gouvernement qui ont fait le déplacement, montrant ainsi un intérêt inédit pour le défi climatique mondial. Enfin, l’adoption d’un accord, compromis entre les différentes positions divergentes, qui montre que le plus petit dénominateur commun acceptable sur la question est bien supérieur à tout ce qu’on a connu par le passé. Sur le plan de l’efficacité climatique, les résultats sont plus mitigés, même s’ils marquent un net progrès par rapport à toutes les COP précédentes. L’accord ne réglera pas la question climatique, parce que les délais qu’il prévoit restent largement en deçà de ce qu’il faudrait pour avoir une chance d’éviter un réchauffement de 3°C. Cet accord fixe un cap. Mais les divergences entre les Etats et la persistance des intérêts nationaux n’auront finalement pas permis d’aller plus loin. Le président Hollande le reconnaît bien, lorsqu’il déclare : « Toutes les exigences n’ont pas été satisfaites, et l’accord ne sera parfait pour personne ». C’est l’essence même d’accords internationaux portant sur des questions aussi sensibles.

Quid de la décision qui en est sortie ?

La Conférence de Paris a effectivement débouché sur un texte contenant les décisions de la COP 21 et un accord, annexé aux décisions. Seul l’accord aura force obligatoire, une fois qu’il sera entré en vigueur. Signalons qu’il sera ouvert à la signature formelle des Etats entre avril 2016 et avril 2017. Les décisions de la COP 21 se regroupent en cinq grandes parties, relatives aux questions suivantes : (1) l’adoption d’un accord ; (2) la question des contributions nationales des Etats en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ; (3) la mise en œuvre de l’accord ; (4) les entités non-parties; (5) aux questions administratives et financières. Parmi ces décisions, celles qui semblent les plus importantes pour l’observateur africain concernent sans doute la mise en œuvre de l’accord. Y sont détaillées les questions relatives à l’atténuation (la réduction des émissions), à l’adaptation (c’est-à-dire les mesures destinées à organiser la vie dans un monde plus chaud), les pertes et dommages (c’est-à-dire les conséquences irréversibles des changements climatiques sur les pays pauvres et vulnérables) qui sont reconnus, sans qu’aucun paiement financier ne soit prévu en réparation, la question des transferts de technologie, et le financement. On peut penser que les Etats ont choisi d’essayer de construire un consensus, en mettant dans l’accord les seuls éléments susceptibles de rallier l’adhésion de toutes les parties, et en gardant dans les décisions celles plus précises sur lesquelles certains Etats ne voulaient pas être formellement liés.

Que retenir donc de l’accord qui est contraignant ?

Quelques points semblent être cruciaux dans l’accord : l’engagement à réduire le réchauffement « bien en dessous de 2°C », et à poursuivre les efforts pour limiter la hausse à 1,5°C. L’engagement à mettre en place à partir de 2020 un bilan quinquennal de la baisse des émissions de gaz à effet de serre, et la définition de nouveaux objectifs plus ambitieux que les précédents. L’accord rappelle que le bilan sera obligatoire, fondé sur des données scientifiques et soumis à des critères de transparence et de vérification. Il prévoit également que les engagements de baisse des émissions devront se traduire dans les politiques nationales. Il faut enfin retenir l’engagement des Etats développés à aider financièrement les pays pauvres en grande partie par des fonds publics à hauteur de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, montant qui sera révisé à la hausse à partir de 2025. Comme on le voit, des objectifs sont indiqués, et il faut désormais que les Etats se mettent au travail pour définir les mesures susceptibles de les rendre opérationnels. C’est pourquoi certains observateurs ont annoncé qu’après la signature, le temps était à l’action.

Sur quoi se fonde la controverse autour du caractère contraignant ou non de l’accord ?

L’accord ne sera pas contraignant, en ce sens qu’il n’existe pas de sanction contre les Etats qui se rendraient coupables de violations de leurs obligations découlant de ce traité. Il sera cependant obligatoire, l’engagement de l’Etat par sa signature et sa ratification exprimant son consentement à se voir lié par le texte, et les autres Etats parties s’attendront à ce qu’il exécute ses obligations de bonne foi. Une fois ratifié, l’accord fera partie intégrante du droit national de chaque Etat partie. Les décisions, quant à elles, sont cependant simplement déclaratoires, et ne lient pas les Etats. Le recours à la contrainte soulève quelques questions délicates dans ce contexte : qui serait chargé de jouer le rôle du « gendarme » écologique, constatant les violations, et appliquant les éventuelles sanctions, les plus grands pollueurs étant aussi les pays les plus puissants ? On peut aussi penser que l’ampleur de la menace climatique, et la prise des consciences des citoyens de l’ensemble des Etats de la planète conduiront les Etats à fournir des efforts pour se mettre en conformité avec les décisions, tout comme avec l’Accord. C’est sans doute ce qui a conduit les Etats à la formulation prudente de nombreuses décisions : ils comprennent sans doute qu’il y aura, dans ce domaine plus que les autres, une forme d’obligation morale qui pèsera sur eux dans la phase de la mise en œuvre.

On parle d’objectifs de 2°C puis de 1,5°C. De quoi s’agit-il finalement ?

Avant la COP21, l’une des attentes formulées par les experts était d’obtenir un engagement des Etats en faveur d’une réduction de l’augmentation de la température de la planète à 2° par rapport à la température au début de la période préindustrielle. Les Etats insulaires, qui vivent déjà les phénomènes extrêmes nés du changement climatique, militaient pour un objectif plus ambitieux, demandant aux Etats de la planète d’aller à 1,5°C. Le texte de l’Accord réalise un compromis, les Etats déclarant vouloir contenir le réchauffement de la planète « bien en dessous de 2°C », et s’engageant à « poursuivre [leurs] efforts pour la limiter à 1,5°C ». Les connaissances scientifiques actuelles nous indiquent toutefois que compte tenu du volume total de gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle, et de ceux qui seront encore émis d’ici à 2020-2030, il est fort possible que toutes les conditions soient d’ores et déjà remplies pour atteindre un réchauffement de 3°C, qui serait une source de bouleversements extrêmes sur la planète.

Les Etats Africains attendaient 100 milliards de dollars par an afin de jouer leur partition dans la lutte. Y a-t-il eu évolution à Paris ?

100 milliards de dollars par an représentent une estimation de la somme que les pays en développement souhaiteraient avoir pour financer les mesures d’adaptation au changement climatique. Concrètement, il s’agit, par exemple, de financer les modifications qu’il faudra apporter aux pratiques agricoles, pour maintenir ou accroître la productivité sur des terres moins arrosées. Ou encore de procéder au financement de la construction de digues pour prévenir les inondations. Le réchauffement de la planète provoquera de profonds bouleversements dans la vie quotidienne de peuples qui, comme ceux d’Afrique, dépendent étroitement de la nature dans leurs modes de production (le calendrier agricole est bâti autour des pluies, et l’agriculture représente la principale activité sur le continent, les petits paysans nourrissant plus de 90% de la population du continent). Le coût des mesures d’adaptation sera donc particulièrement élevé, et il est aujourd’hui impossible de l’évaluer de manière précise. Les Etats développés étaient prêts à apporter le financement de ce montant à partir de 2020, mais indiquaient qu’il s’agirait de financements publics et privés (c’est-à-dire aussi d’investissements réalisés par des compagnies des pays occidentaux dans les pays en développement). A la COP 21, les pays développés se sont engagés à aider les pays pauvres en apportant chaque année 100 milliards de dollars (en grande partie sur des fonds publics) à partir de 2020, et à revoir ce montant à la hausse au fil des ans. Cet engagement se trouve dans les décisions, et pas dans l’Accord, ce qui en réduit la force obligatoire. Mais l’inscrire dans l’Accord aurait également pu le figer, rendant plus difficiles les éventuelles augmentations de cet objectif.

Finalement, que gagne l’Afrique dans cet accord ?

L’Afrique s’est illustrée à la COP 21 en parlant d’une seule voix, aussi bien au niveau des négociateurs qu’à celui des Chefs d’Etat. Il est important de relever que si l’Afrique est le continent qui contribue le moins aux changements climatiques, il sera celui qui paiera le plus lourd tribut au réchauffement de la planète. La réduction des gaz à effet de serre profite donc en premier à l’Afrique, et on peut dire que nos représentants ont fait entendre la voix du continent sur cette question, en appelant à la justice climatique. Des mesures concrètes ont été annoncées pendant la COP 21, notamment la décision du président Hollande d’apporter un financement de 2 milliards d’euros par an pour financer les énergies renouvelables dans les pays du Sahel. Le gouvernement norvégien apporte des financements particulièrement élevés pour contribuer à l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. On aura des annonces de la même nature dans les années à venir. On a bien sûr évoqué la question de la dette écologique, et des pertes et dommages, c’est-à-dire des effets irréversibles du changement climatique dans nos pays, mais sans en tirer les conséquences financières en termes de réparation. Et je ne pense pas que les Etats africains rentrent de Paris avec des financements concrets. Mais à la suite de l’accord, des opportunités nouvelles leur seront offertes et il leur appartient désormais de s’assurer qu’ils préparent des plans et programmes susceptibles d’intéresser les bailleurs de fonds.

Est-ce à dire qu’il y aura des contrôles ?

Les objectifs de réduction annoncés par les Etats devront être chiffrés et vérifiables, avec un recours à des données scientifiques. Il faudra donc que les Etats africains s’y habituent, pour pouvoir accéder à ces financements, aujourd’hui et demain. En résumé, on peut dire que l’Afrique gagne potentiellement de l’argent, qui sera rendu disponible progressivement. Elle gagne en termes de visibilité de ses positions, et surtout de l’unité que le continent a présentée. Elle gagne enfin en termes d’orientation pour la conception de ses programmes de développement. Il est de ce point de vue dommage que les pays africains aient limité la participation à la COP 21 aux seuls ministres gérant l’environnement et des questions connexes. Inviter les ministres chargés de la planification du développement leur aurait fait comprendre les nouveaux enjeux dans un monde marqué par la contrainte climatique, et ses implications pour nos pays.

Qu’est-ce que tout ceci implique pour le Cameroun en particulier ?

Le Cameroun est particulièrement vulnérable aux changements climatiques. Il est, en effet, dépendant de l’agriculture pour l’emploi et l’alimentation, et abrite sur son territoire des zones extrêmement sensibles (sahel menacé de désertification, zones côtières exposées à la hausse des océans, etc.), et déplore déjà la baisse du débit de ses fleuves et rivières. Il y a donc urgence, et le Cameroun devrait se féliciter de la prise de conscience mondiale qui peut augurer des actions dans la lutte contre le changement climatique. Il est important que notre pays traduise au plan national l’effort mondial de lutte contre le changement climatique, par des mesures cohérentes et efficaces. Nous devons d’ores et déjà préparer le premier bilan de la baisse des gaz à effet de serre prévu par l’accord de Paris, qui aura lieu tous les cinq ans. Il faut également garder à l’esprit que les engagements de baisse devront se traduire dans les politiques nationales.

Concrètement, que doit faire le Cameroun pour respecter ses engagements dans cette lutte ?

Il y a deux mesures essentielles : l’engagement de réduire de 32% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 2010 est particulièrement ambitieux, et supposera une révision de nos schémas de développement. Concrètement, il faut procéder à une sorte d’étude de l’impact de la Vision 2035 sur les objectifs de réduction des gaz à effet de serre du Cameroun. La question qui se pose est la suivante : alors qu’on prévoit un développement rapide des opérations minières, agro-industrielles et des défrichements pour les grands projets d’infrastructure, comment allons-nous parvenir à la réduction des gaz à effet de serre d’un tiers par rapport au niveau de 2010 ? Loin d’être une invitation à arrêter les projets de développement (ce que les négociateurs de la COP ne souhaitent pas non plus, le droit des pays pauvres au développement étant réaffirmé), il s’agit plutôt d’un appel à l’efficacité dans l’utilisation de l’espace et des ressources, et à l’intégration du volume des émissions de gaz à effet de serre parmi les critères de prise de décision.

Comment avancer dans la promotion de notre développement en tenant compte des objectifs que nous nous sommes fixés ?

Nous avons là une opportunité exceptionnelle de changer notre trajectoire de développement, de nous engager, bien avant les autres, dans la voie du développement durable, économe en carbone, de procéder à un saut qualitatif et de nous positionner comme l’un des leaders de la lutte contre le réchauffement de la planète, en montrant qu’on peut arriver à associer la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’amélioration du bien-être de nos populations. L’exemple de l’accès à l’énergie fournit une parfaite illustration à cette affirmation : le Cameroun compte aujourd’hui 13 000 localités non-connectées au réseau national d’électricité, dont 9000 qui ne peuvent être connectées par extension du réseau. En zone rurale, et selon l’Institut National de Statistiques, 1 500 000 ménages dépensent chaque année 40 milliards de francs CFA pour s’éclairer à la lampe à pétrole. En 2013, la subvention de l’Etat pour maintenir le prix du pétrole à la pompe représente 25 milliards de francs CFA. L’Etat et les ménages ruraux dépensent donc environ 65 milliards par an pour assurer un éclairage à la lampe à pétrole (sans doute moins, si l’on considère que tout le pétrole vendu au Cameroun ne sert pas à l’éclairage). Développer l’éclairage solaire permettrait d’améliorer considérablement la qualité de la vie dans les zones rurales et la périphérie urbaine, et y augmenterait la durée des journées de travail et donc la productivité. Aujourd’hui, les équipements solaires restent chers, du fait des droits de douane, et il serait possible d’envisager de remplacer la subvention au pétrole lampant par une suppression des droits de douane sur les équipements pour les énergies renouvelables, dans le but de transformer nos zones rurales. On assisterait, par la même occasion, à la création de nombreux emplois (dans la commercialisation, l’installation, la maintenance et, plus tard, la fabrication de ces équipements), et au développement d’une expertise qui nous mettrait dans la compétition pour la recherche et le développement de solutions adaptées à nos contextes. Les émissions évitées du fait du remplacement des lampes à pétrole par des lampes solaires contribueraient à l’atteinte de l’objectif annoncé par le Chef de l’Etat.

 

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