Dans le stand qu’il occupait sur le site du Salon international de l’artisanat du Cameroun (SIARC) à Tsinga, Mathieu Manga Essono, sculpteur sur bois, proposait un spécimen de lion sculpté à 5000 F. A ce prix-là, l’artisan triplait pratiquement le tarif de son œuvre qu’il laisse habituellement au revendeur entre 1000 et 1500 F.
Une somme modique, s’il faut intégrer les coûts de production de l’objet d’art, notamment l’achat du bois, que le sculpteur dit rare et cher. Mais, le plus intéressant pour M. Manga Essono, c’est ce contact direct avec le client, le consommateur final de son produit. « En dehors d’événements comme ce salon, nous n’avons pas de sites où exposer nos œuvres. Nous fonctionnons avec des revendeurs qui rachètent nos œuvres au niveau des ateliers et les revendent par la suite dans les centres artisanaux », explique l’artisan.
La présence d’intermédiaires dans le circuit de commercialisation des œuvres d’art n’aurait pas posé de problèmes dans ce secteur, si les gains étaient équitablement répartis. « Les revendeurs réalisent des profits sur le dos des artisans. Pour revaloriser l’artisan, il faut créer des espaces où il aura directement accès aux clients. Actuellement, nous ne payons pas de taxes, mais nous sommes prêts à le faire », confie Mathieu Manga Essono. Ce dernier semble d’ailleurs sceptique depuis qu’il a appris que le Centre international de l’artisanat de Yaoundé récemment inauguré, ne sera ouvert qu’aux artisans professionnels.
Le Centre international de l’artisanat de Yaoundé, comme les villages artisanaux ont été crées dans le souci de tirer profit des richesses de l’artisanat camerounais. Avant le SIARC qui se tient tous les deux ans, il y a depuis 2008, des salons communaux, départementaux et régionaux de l’artisanat qui sont organisés pour offrir aux artisans des communes, des départements et des dix régions du pays, un espace de valorisation de leurs créations. Les villages artisanaux rentrent également dans cet esprit, avec cependant une spécificité. « Ce sont des espaces productifs. Ceux qui vont y travailler vont produire de l’argent. Les taxes vont être payées, il y aura des locations et des événements y seront organisés », expliquait récemment le ministre en charge de l’Artisanat, Laurent Serge Etoundi Ngoa, dans les colonnes de CT.
Avec la récente réorganisation de l’organigramme du département ministériel en charge de l’artisanat par le président de la République, tout semble être mis en œuvre pour que l’artisanat camerounais décolle. Le thème retenu pour la cinquième édition du SIARC qui s’est achevée, dimanche dernier, l’illustre grandement : « L’artisanat camerounais face aux défis de la normalisation et de la compétitivité ». Pour concrétiser tout cela, les futurs chantiers dans le secteur concernent la formation des artisans, afin qu’ils puissent produire des œuvres qui respectent les normes internationales. Sur la compétitivité, un projet de galerie virtuelle est en train de se mettre en place au sein du centre de l’artisanat de Yaoundé. Une espèce de marché sur la Toile où les artisans vendront leurs œuvres au « prix du marché ». On comprend donc, que le respect des normes soit un impératif pour la réussite de cette initiative. De plus, l’organisation au Cameroun de la Coupe d’Afrique des Nations de football féminin en novembre prochain et masculin en 2019, commande de se hâter. Les touristes attendus lors de ces événements sportifs constituent une clientèle qu’il ne faudra manquer pour aucune raison. Ces étrangers constituent aujourd’hui déjà, les plus gros consommateurs de l’artisanat camerounais.
Il y a déjà, l’opportunité offerte par l’accord de partenariat économique d’étape (APE) qui offre aux artisans, la latitude de vendre sur le marché européen en franchise de droits de douane. Sauf que, dans le monde des artisans, certains acteurs restent encore limités par les finances. Notamment la structure Shala Shoe Making, unité de fabrication de chaussures made in Cameroon, basée à Kumbo. Son promoteur, Edward Shala, rencontré sur le site du SIARC, avoue ne pas pouvoir produire assez d’exemplaires pour inonder le marché national, faute d’argent. Pour Amadou Boubakary, président régional de la coopérative des acteurs de la filière textile de l’Extrême-Nord, la compétitivité de leurs vêtements reste entamée par la cherté de la matière première, le tissu qui est essentiellement importé du Nigeria voisin. « Si nous pouvions avoir ce tissu sur place, cela réduirait les coûts de production et nous permettrait de pénétrer plusieurs autres marchés en dehors du Cameroun, du Nigeria, du Tchad et de la RCA où nous sommes déjà présents », confie-t-il. Des réalités qui doivent être intégrées sur le chemin vers un secteur artisanal compétitif, à même de rapporter des ressources qui se font de plus en plus rares.