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Dossier de la Rédaction

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« La ratification des APE par le Cameroun relève d’un choix clairement assumé »

Louis Paul Motaze, ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (MINEPAT).


Monsieur le ministre, après ces assises de Douala, l’Afrique Centrale va-t-elle enfin parler d’une même voix ?

L’Afrique Centrale parle déjà d’une même voix, en ce sens que tous les pays sont d’accord pour que la sous-région, dans le cadre de ces APE avec l’Union Européenne, signe un document commun. C’est ce qui justifie l’existence du Comité ministériel qui vient de se réunir à Douala pour la quatorzième fois. Il était question de voir comment faire avancer les négociations qui ont tendance à piétiner entre l’Union Européenne et l’Afrique Centrale. Le Cameroun, en tant que leader de la sous-région, avait pris sur lui de signer un accord d’étape avec l’Union Européenne qui rentre en application le 4 août prochain. Cette application risque de mettre à mal le dispositif douanier sous-régional. Raison pour laquelle les Etats d’Afrique Centrale, réticents à signer un accord, ont accepté d’adhérer à un processus devant aboutir à un accord global qui puisse permettre de sauvegarder le dispositif douanier sous-régional.

A l’issue de la réunion de Douala, un consensus s’est fait à l’idée de préparer un projet d’accord qui partirait de l’accord signé par le Cameroun en y intégrant toutes les améliorations. Ce projet d’accord devra être validé par les ministres vers la fin de ce mois de juin à Libreville puis, soumis à S.E. Ali Bongo Ondimba du Gabon, désigné par ses pairs comme parrain des négociations. Selon la volonté exprimée par ce dernier, c’est ce projet d’accord qu’il soumettra à certains hauts responsables européens comme la proposition de l’Afrique Centrale à l’Union Européenne, en espérant que les négociations vont reprendre rapidement et pourront aboutir d’ici le 4 août 2016, date de l’entrée en vigueur de l’accord signé avec le Cameroun, sauf si les négociations en disposaient autrement.

Qu’est ce qui a motivé le choix du Cameroun de ratifier cet Accord ?

Le Cameroun a pris la décision de parapher et de signer un accord intérimaire avec l’Union Européenne (UE) pour éviter toute perturbation de ses exportations vers l'UE après le 31 décembre 2007. Il a bénéficié à cet effet, dès le 1er janvier 2008, d’un accès libre et sans précédent au marché de l'UE pour ses produits d'exportation tels que la banane, l'aluminium, les produits transformés du cacao, les contreplaqués, et d'autres produits agricoles frais ou transformés. En concluant un Accord bilatéral avec l’Union Européenne, le Cameroun a voulu «préserver» ses intérêts commerciaux, sans toutefois ignorer les chocs négatifs exogènes susceptibles de dégrader la compétitivité de ses produits, dont il doit se prémunir et apporter des réponses appropriées. Donc, la ratification par le Cameroun de l’Accord d’Etape relève d’une approche stratégique globale, qui vise la conquête des nouvelles parts de marché sur la scène internationale et surtout, la préservation de l’accès préférentiel de ses produits d’exportation sur le marché européen, en attendant la conclusion d’un APE régional complet et équilibré.

Quelles sont les principales caractéristiques de cet APE intérimaire ?

L’accord d’étape conclu entre le Cameroun et l’UE s’articule autour de deux volets : le Commerce et le Développement. Seul le volet Commerce a fait jusqu’ici l’objet des premières dispositions spécifiques qui ont permis au Cameroun de garder un accès préférentiel pour ses exportations vers l’Union Européenne depuis le 1er janvier 2008. Dans cet accord, le Cameroun a accepté d’ouvrir son marché à concurrence de 80% des importations de l’Union Européenne. Cette libéralisation s’étalera sur une période transitoire de 15 ans avec un moratoire de deux ans et se fera par groupe de produits. 20% des produits ont été exclus de la libéralisation. S’agissant maintenant du volet Développement encore en discussion avec la partie européenne, il devrait pour l’essentiel concerner le Programme Régional d’Accompagnement du Développement dans le cadre de l’APE (PRADA), c’est-à-dire le programme de renforcement des capacités et de mise à niveau des économies de l’Afrique Centrale ; il devrait concerner également la compensation de « l’impact fiscal net », c’est–à-dire les pertes de recettes liées à l’ouverture des marchés de la région.

Au sujet de la libéralisation dont vous parlez, quelles sont les marchandises concernées par l’APE intérimaire ?

Les importations libéralisées en provenance de l'UE sont principalement des machines industrielles (pompes, groupes électrogènes, turbines, etc.), des véhicules, et certains produits chimiques. Ce sont pour la plupart des intrants utilisés par les industries du Cameroun et qui ne sont pas produits localement. L'élimination des droits d'importation réduira les coûts des intrants pour les entreprises locales et bénéficiera également aux consommateurs. Donc, ces importations ne viendront « tuer » aucune filière de production locale. De manière générale, bien qu’il faille redouter une perte des recettes douanières dues à l’abaissement des barrières, la libéralisation des échanges est source de croissance et porteuse de développement. Elle induit une réduction des coûts des échanges et augmente les opportunités pour les entreprises. Dans le cadre de cet accord, l’élimination des droits de douanes sur les importations des matières premières et équipements industriels en provenance de l'UE, réduira directement les coûts de production et améliorera la compétitivité des entreprises et de l’économie, et donc agira sur la production et la croissance des exportations. Dans ce contexte, l’APE pourrait être un catalyseur de mise à niveau des entreprises, à condition que les gains découlant de cette libéralisation ne soient pas captés en grande partie par les intermédiaires commerciaux.

Que prévoit le calendrier de démantèlement ?

Le calendrier de démantèlement proposé sur une période de dix ans (2016-2026) concerne trois groupes de produits : Le premier groupe comprend des produits destinés à la consommation des ménages (30% du total du groupe) qui sont des produits de première nécessité contribuant à la lutte contre la pauvreté. Il y a aussi des matières premières (19%), ainsi que certains biens d’équipements (27%), pour permettre aux entreprises d’accéder aux matières premières et équipements à moindres coûts. Dans ce groupe on trouve des médicaments, des livres, des semences ou des reproducteurs d’animaux. La libéralisation des produits de ce groupe se fera en 4 ans à partir de la première année de libéralisation (An1).

Le deuxième groupe de produits comprend des machines et autres biens d’équipement (35%), des demi-produits (39%) et autres matières premières destinées à soutenir l’industrie locale. Je relève ici que la libéralisation de ce groupe participe du soutien à l’investissement en permettant aux entreprises de mettre à niveau leurs équipements et d’être compétitives. On trouve ici comme produits, des machines et équipements mécaniques (véhicules neufs, équipements agricoles), des machines et équipements électriques, des pneumatiques neufs, etc. Les produits composant ce groupe seront libéralisés en 7 ans à partir de la deuxième année de Libéralisation (An2).

Le troisième groupe de produits comprend des produits à tarifs élevés. Ce sont en général des demi-produits (12%), des produits finis non produits localement et où une offre potentielle existe. Ce groupe comprend également des matières premières et autres biens d’équipement (34%) qui contribuent fortement aux recettes douanières. La libéralisation tardive de ce groupe vise à favoriser l’émergence d’un tissu industriel dans les secteurs concernés. On y retrouve entre autre les matériaux de construction, le Clinker, le blé dur, les matières en caoutchouc, les produits dérivés du bois, les articles de ménage, etc. La libéralisation de ce dernier groupe de produits se fera en 10 ans à partir de la cinquième année de libéralisation (An5).

Il est important de relever qu’il existe un autre groupe, celui des produits exclus de la libéralisation. Ce sont en général des produits finis et qui sont fabriqués localement, des produits contribuant fortement aux recettes douanières, et des déchets. Ces produits ont été exclus afin de protéger la production locale, préserver l’emploi et les recettes douanières, mais aussi pour des raisons de sécurité, de santé publique et d’environnement. On y retrouve des produits alimentaires (poissons, huiles, viande et abats comestibles, lait et des produits dérivés, des boissons gazeuses et alcoolisées), des produits agricoles (tomates, pommes de terre, oignons, choux, etc.), de la friperie, des vêtements et autres produits du textile, des articles en bois, du papier et produits dérivés, des produits usagés, etc.

Est-ce que cela signifie que les opérateurs économiques ou producteurs locaux n’ont pas raison d’être inquiets comme c’est le cas en ce moment ?

Le Cameroun a exclu de la libéralisation un certain nombre de produits agricoles et non agricoles transformés, principalement pour assurer la protection de ses marchés agricoles ou industriels considérés comme sensibles, mais également pour préserver ses recettes fiscales. Les biens de consommation courante et plus particulièrement les produits alimentaires et boissons ont été quasi-exclus de la libéralisation. 41% de l’ensemble des produits exclus de cette libéralisation appartiennent à ce groupe de produits. Il est également important de relever que dans le but de promouvoir la diversification de notre économie, certains produits qui présentent un potentiel de développement considérable, ont également été exclus de la libéralisation. C’est le cas notamment des produits bruts animaux et végétaux.

Il y a cette question de l’adaptation et la modernisation de l’économie camerounaise à la mondialisation. Qu’est ce qui est fait dans ce sens ?

Dans ce registre, nous avons arrêté trois principaux axes d’actions: le renforcement des capacités de l’offre, le développement des capacités d’exportation, et les réformes institutionnelles et fiscales incitatives. Un Bureau de Mise à Niveau des Entreprises (BMN), déjà opérationnel, prépare les entreprises camerounaises, sur la base d’une adhésion volontaire, à améliorer la qualité et la normalisation, et à accroître l’offre de leurs produits à travers la modernisation de l’outil de production mais aussi l’optimisation du leadership et du management. L’Union Européenne appuie cette démarche à travers le Programme d’Amélioration de la Compétitivité de l’Economie (PACOM). A ce jour, plusieurs entreprises ont été mises à niveau et bon nombre encore le seront dans les prochaines semaines. Bien plus, de nombreux organismes d’appui sont mis en place par l’Etat, à l’instar de la Bourse de Sous-traitance et de Partenariat (BSTP), l’Agence de Promotion des Petites et Moyennes Entreprises (APME), l’Agence de Promotion des Investissements (API) et des Programmes tels que le Programme d’Appui au Plan de Modernisation des Douanes (PAPMOD) dont l’objectif vise à renforcer les capacités de la douane en termes de recettes douanières et de facilitation des opérations de dédouanement et de transit, le Projet d’Appui au Développement du Secteur Privé (PASDP), etc. Tous ces organismes contribuent à renforcer et à moderniser le tissu économique et productif du Cameroun conformément à leurs missions respectives.

Vous semblez minimiser les risques liés à cet accord Monsieur le Ministre ?

Non. Il ne s’agit point de minimiser, encore moins d’ignorer les risques liés à cet accord. Le Gouvernement en est conscient et il a d’ailleurs, sur ses ressources propres, financé l’étude sur le calcul de « l’impact fiscal net », c’est-à-dire de l’évaluation des pertes engendrées par la mise en œuvre de l’APE. Toutefois, en toute responsabilité, le Gouvernement ne peut se limiter à se plaindre des effets pervers de l’APE. Son rôle est aussi de chercher les voies et moyens pour atténuer ces effets pervers tout en maximisant les effets positifs. Il s’agit donc aujourd’hui pour le Cameroun, de saisir les opportunités qui lui sont offertes pour en tirer pleinement profit.

La ratification des APE par le Cameroun relève indéniablement d’un choix clairement assumé. Comme je l’ai dit, c’est un choix stratégique visant la conquête des parts de marché sur la scène internationale. Il s’agit surtout de tirer profit de la diversification de notre économie pour la moderniser et exploiter au maximum l’accès préférentiel de nos produits d’exportation sur le marché européen. En prenant un tel pari, le Cameroun s’engage à sortir de l’économie de rente au moyen de l’accélération des réformes structurelles, institutionnelles et réglementaires susceptibles d’attirer les investisseurs porteurs d’idées et de capitaux, à venir s’installer dans le pays, à créer des entreprises, à prospérer et à créer des emplois. En effet, sans être un chantre du libéralisme tous azimuts prôné çà et là, le Cameroun doit faire sienne cette position récemment déclarée lors des récentes rencontres économiques de Yaoundé le 17 et 18 mai 2016 par l’ancien Président de la Commission Européenne, M. Barroso, lorsqu’il disait qu’aucun pays ne s’est développé en s’enfermant derrière les barrières douanières. Et qu’à contrario, l’envol économique des pays occidentaux et surtout de certains « dragons » de l’Asie comme le Corée qui était, il y a quelques décennies encore, au même niveau de développement que nos pays, est dû essentiellement à leur ouverture et leur intégration progressive dans les échanges commerciaux mondiaux.

Propos recueillis par Félicité BAHANE N.


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